Sarkozy Elysee
Le 07 novembre 2007

Sarkozy et l'argent de l'Elysée

Il augmente son salaire à plus de 19 000 euros net par mois. Il présente un budget de la présidence reformaté. Une véritable rupture financière. Enquête sur le train de vie du chef de l'Etat, le coût de ses opérations politiques, la marche du palais et les rémunérations de ses conseillers.

Sarkozy Elysee

Il n'aura pas tardé. Au lendemain de son investiture à l'Elysée, le 16 mai, Nicolas Sarkozy interroge sa directrice de cabinet, Emmanuelle Mignon:
«Combien gagnait mon prédécesseur?» Jacques Chirac cumulait son salaire de base, supérieur à 6 000 € net, sa retraite d'ancien député (5 600 €), de maire de Paris (2 480 €), de conseiller général (2 318 €), de conseiller référendaire à la Cour des comptes (3 148 €), soit environ 20 000 € net.
«Et moi? demande le président.
- Un peu plus de 8 400 €.
- Pourquoi? poursuit Sarkozy.
- Parce que vous n'avez pas de retraite, lui répond Emmanuelle Mignon.
- Qui fixe le montant? enchaîne le chef de l'Etat.
- C'est vous. Vous me donnez un ordre et je signe», détaille la conseillère.

La question ne date donc pas d'hier: dès la première semaine de sa présidence, le chef de l'Etat doit choisir s'il augmente immédiatement sa rémunération ou pas. Il donne l'instruction de revoir l'ensemble du financement de l'Elysée, comme il l'avait indiqué pendant sa campagne électorale, et de faire en sorte que le Parlement fixe et vote le montant de ses émoluments. Ce qui est arrivé, le 30 octobre. Bien entendu, les députés n'ont rien décidé du tout; ils n'ont fait qu'approuver un amendement déposé par le gouvernement. Comme l'Assemblée nationale a la primauté sur le Sénat pour le projet de loi de finances, il y avait urgence à modifier le texte. Et c'est Nicolas Sarkozy lui-même qui a déterminé le montant exact: à la mi-octobre, alors qu'il lui était proposé un salaire supérieur à celui de son Premier ministre, il a arbitré pour 19 331 € net mensuels. A peu près comme François Fillon.

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Polémique assurée. Le 27 octobre, la lettre hebdomadaire Profession politique révèle le futur triplement du budget de l'Elysée. Six semaines après les déclarations de François Fillon sur la «faillite» de l'Etat, alors que le pouvoir d'achat est décrété cause prioritaire du nouveau pouvoir, et en pleine réforme des régimes spéciaux, la hausse ne peut pas passer inaperçue. Au cours du petit déjeuner avec les responsables de la majorité, le jour même du vote de l'amendement, le président endosse la responsabilité de la décision: «Je veux renoncer à l'hypocrisie.» Sa directrice de cabinet, Emmanuelle Mignon, chargée de cette opération de «consolidation des comptes», savoure: enfin, elle va pouvoir «gérer» la maison Elysée.

Avant l'été, le chef de l'Etat avait abordé le sujet avec Philippe Séguin, président de la Cour des comptes, et Edouard Balladur, nommé président du Comité sur la réforme des institutions. A l'un et à l'autre il dit de travailler en étroite liaison avec son cabinet. Le 12 juillet, à Epinal, il déclare: «Je prendrai des initiatives dans quelques jours pour que le budget de l'Elysée obéisse à des conditions de transparence indispensables dans notre pays et je demanderai au président de la Cour des comptes de le contrôler.» Il confirme ses intentions dans la lettre de mission envoyée à Balladur. L'ancien Premier ministre et les autres membres du comité entendront d'ailleurs, au cours des auditions de la rentrée, Philippe Séguin, qui donnera son aval au contrôle du budget élyséen par la Cour des comptes, mais réclamera que les assemblées parlementaires soient soumises au même régime. C'est une révolution pour le financement de la présidence de la République. Sinon la fin du grand flou, en tout cas le début d'une clarification.

Le budget de l'Elysée

Son montant officiel n'a jamais été pris au sérieux. Dans les années 1960, il s'élève à l'équivalent de 2,46 millions d'euros, puis avoisine les 5 millions sous la présidence Mitterrand. Jacques Chirac, rattrapé par l'affaire de ses billets d'avion, révélée par L'Express en 2001, annonce la suppression officielle des fonds spéciaux attribués par Matignon et leur réintégration dans les finances de l'Elysée. Il entame aussi un léger assainissement de la situation... et une substantielle augmentation du budget présidentiel: 31,7 millions d'euros en 2007.

Le premier exercice financier préparé par l'équipe Sarkozy s'inspire de l'ère précédente: il est de 32 292 140 €, en progression de 1,6%. Il vient de dépasser les 100 millions. Première raison: un nouveau poste est créé, celui des frais de voyages, d'un montant de 15,3 millions d'euros pour 2008. Les ministères de l'Intérieur, des Affaires étrangères, de l'Outre-Mer et de la Défense ne financeront plus les déplacements du chef de l'Etat, en province comme à l'étranger.

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Seconde raison: les charges de personnel s'évaluent désormais à 67 millions d'euros, contre 16,8 millions précédemment. La présidence emploie, au 1er octobre, 1 045 personnes, 88 de plus qu'à la fin du mandat Chirac. Le service de la correspondance, les secrétariats et les équipes de sécurité ont vu leurs effectifs augmenter. Jusqu'à présent, 117 de ces 1 045 personnes étaient sous contrat, directement rémunérées par l'Elysée, 68 mises à la disposition par La Poste, France Télécom, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la ville de Paris (ce système perdurera, l'Elysée remboursant les entreprises concernées), tandis que les 860 autres étaient payées par différents ministères. C'est cette réintégration de l'intégralité des salaires qui entraîne l'explosion des charges de personnel.

Le rapatriement de ces dépenses devait conduire à un budget d'environ 90 millions d'euros, or il a été porté à 100 millions. Quelques débours nouveaux ont été engagés depuis mai (la location de bureaux au 22, rue de l'Elysée, pour 400 000 € par an, l'entretien du pavillon de la Lanterne, qui dépendait jusqu'à présent du Premier ministre), les charges de service ont augmenté de quelque 2 millions, mais des précisions doivent encore être fournies sur cet écart de 10 millions.

Le train de vie du président

Sortir de la «confusion» entre les dépenses publiques et privées du président: c'est le souhait, répété ces derniers jours, du député apparenté PS René Dosière, auteur d'un livre sur L'Argent caché de l'Elysée. Sujet délicat pour un chef de l'Etat qui n'est pas insensible au luxe, comme l'a prouvé, après sa victoire électorale mais avant son entrée en fonction, son escapade au large de Malte, sur un yacht payé par un patron de ses amis, Vincent Bolloré. Tout est donc affaire de jugement. Exemple: pour le dernier week-end d'octobre, Nicolas Sarkozy se rend à Brégançon, dans le Var. L'aller- retour s'effectue dans un Falcon, sans qu'il dépense le moindre euro. «Il existe un périmètre de la vie présidentielle, où ses déplacements et son logement sont pris en charge, avance sa directrice de cabinet. L'Elysée et Brégançon en font partie. En revanche, lorsqu'il se rend en vacances, en août, aux Etats-Unis, il prend un vol régulier.» Il est cependant suivi en permanence par un avion de la présidence. Ce qui lui a permis de revenir précipitamment à Paris pour assister aux obsèques du cardinal Lustiger.

Les appartements privés

L'Elysée assure qu'aucuns travaux en vue d'un aménagement dans les appartements privés de la présidence (260 m2), situés au premier étage du palais, dans l'aile est, n'ont été lancés depuis mai. L'annonce, le 14 juillet, de l'installation prochaine de la famille Sarkozy n'est plus d'actualité. Le chef de l'Etat vit dans l'appartement du roi de Rome, d'une surface de 130 mètres carrés. L'endroit a été refait récemment, puisque c'est Bernadette Chirac qui est à l'initiative du dernier grand aménagement de la maison, en l'occurrence la transformation des combles de l'aile ouest de l'Elysée. Elle avait sollicité un décorateur de renom, Alberto Pinto. La somme dépensée à cette occasion n'a jamais été rendue publique.

Les coûts des coups

Il y a les rendez-vous traditionnels et ceux que le président choisit de provoquer. Dans la première catégorie, la garden-party du 14 Juillet. Dans les jardins de l'Elysée, des tentes, un orchestre et des buffets généreusement garnis pour environ 5 000 invités. Montant de la facture: 500 000 €. «Soit 5% de moins que l'année précédente», selon la présidence. En 2006, selon le documentaire L'Argent de l'Elysée, diffusé dans Lundi Investigation, sur Canal+, les seuls frais de traiteurs s'étaient élevés à 475 000 €.

Dans la seconde catégorie, le «concert de la fraternité», donné le même jour par Michel Polnareff: Nicolas Sarkozy a voulu cette initiative, qu'il avait déjà en tête pendant la campagne. Une fête géante sur le Champ-de-Mars, à Paris, diffusée en direct à la télévision, en présence du président, du chef du gouvernement et de plusieurs ministres. Une fête «populaire», et donc gratuite, pour 600 000 personnes... mais pas pour les contribuables: après un bras de fer entre l'Elysée et le ministère de la Culture, c'est ce dernier qui a dû régler la note. Entre le cachet pour la vedette et tous les frais d'organisation, le total fut de 1,2 million d'euros.

Les collaborateurs du président

En juillet, le chef de l'Etat a dû mettre le holà. Le recrutement devenait excessif. «Je suis arrivé un jour à la réunion hebdomadaire de cabinet, dirigée par le secrétaire général, Claude Guéant, quand je me suis aperçu qu'on était désormais vraiment nombreux», raconte un conseiller. Ils sont 49 à former l'équipe du président, sans compter une dizaine de personnes oscillant entre les statuts de membre du cabinet ou des services. Certains sont contractuels; les autres, fonctionnaires, continuent de percevoir des salaires correspondant à leur statut (de préfet, de diplomate ou d'inspecteur général des finances). Du coup, le secrétaire général de la présidence n'est pas forcément le mieux payé du cabinet.

Comme tous les personnels en fonction à l'Elysée, ils touchent en plus une «indemnité pour sujétion particulière». Quelque 7,7 millions d'euros seront ainsi distribués en 2008, un total en hausse de plus de 20% par rapport à l'année dernière. Ces primes sont discrétionnaires: en moyenne, un conseiller technique complète chaque mois son salaire par 1 900 € net, un conseiller par 2 300 € net. Les sommes sont plus élevées pour le haut du cabinet. Elles permettent de compenser les sacrifices financiers qu'effectuent ceux qui viennent du privé, comme François Pérol, le secrétaire général adjoint, associé gérant de la banque Rothschild & Cie jusqu'en mai 2007. A plusieurs des conseillers du président L'Express a demandé le montant de leur salaire, à l'image de ce qui se passe à la Maison-Blanche. «Je veux que les collaborateurs qui travaillent pour l'Elysée rendent compte», avait soutenu le chef de l'Etat le 30 octobre, en Corse. Tous ont eu la même réponse: d'accord pour dévoiler notre salaire, si les autres le font en premier... L'opération transparence a ses limites.

Eric Mandonnet

Source: L'express